« La France est pleinement mobilisée en faveur du désarmement nucléaire. Elle a un bilan exemplaire en la matière » a répondu le Ministre des Affaires étrangères à l’Assemblée nationale il y a trois semaines quand des députés l’ont interrogé sur la position de la France quant au désarmement nucléaire et sur sa participation à l’avenir aux négociations multilatérales sur le sujet. Le Ministre a opposé l’approche « pragmatique et responsable » de la France à l’approche « idéologique » des défenseurs d’une interdiction totale des armes nucléaires « qui s’attachent aux mots plutôt qu’aux actes. » La France considère que la résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies intitulée « Faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire » a inscrit le groupe de travail à composition non limitée dans une « approche radicale du désarmement, déconnectée du contexte stratégique » et que celui-ci ne pourra pas déboucher sur des discussions constructives aboutissant à des progrès concrets.
Cependant, il est légitime de se demander qui semble le plus déconnecté de la réalité. En février dernier, lors de la première session du groupe de travail, 90 États et des dizaines d’organisations de la société civile étaient réunis pour discuter du vide juridique autour des armes nucléaires, des propositions pour le combler, de l’urgence d’agir, de la transparence, des mesures de confiance, de la vérification, des risques et de la pertinence de la dissuasion nucléaire. Comme le nom du groupe à composition non limitée l’indique, les discussions qui y ont eu lieu sont pleinement inclusives et extrêmement riches.
Des États exclus depuis des décennies de la Conférence du Désarmement (CD), forum paralysé depuis des années et fermé aux deux tiers des États, ont enfin pu se faire entendre et exprimer leurs opinions. Des préoccupations concrètes, qui jusqu’à présent n’avaient jamais dépassé le stade de suggestions à inscrire au programme travail de la CD, ont été explorées pour la première fois de manière approfondie.
Et pourtant la France, soit disant « pleinement mobilisée en faveur du désarmement nucléaire », a voté contre la résolution ayant convoqué ce groupe de travail et a décidé de boycotter les discussions, tout comme la Chine, les États-Unis, le Royaume-Uni et la Russie. La France persiste à refuser toute remise en question de la pertinence de sa dépendance aux armes nucléaires dans sa doctrine militaire. Elle ignore de plus toute discussion qui pourrait contribuer à l’avancement des négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. La diplomatie française fait par-là preuve d’une capacité impressionnante à se déconnecter de l’élan international que la majorité des nations ont impulsé et porté, ignorant ainsi une problématique fondamentale qui la concerne directement.
Au niveau national, des anciens ministres de la Défense et Premier Ministre (P. Quilès, H. Morin, M. Rocard) ainsi que de hauts responsables militaires (B. Norlain) ont clairement interrogé le concept de dissuasion dans la doctrine militaire française ainsi que les moyens financiers qu’il mobilise au sein de l’armée. Des parlementaires interrogent régulièrement le gouvernement et essaient d’ouvrir le débat sur les armes nucléaires. ICAN France, grâce à son projet ICAN Youth sur l’approche humanitaire du désarmement nucléaire, a détecté une volonté forte de la jeunesse française d’obtenir plus d’informations sur l’arsenal nucléaire et les initiatives actuelles de désarmement nucléaire au niveau international. Ce projet a pour ambition d’engager le débat public et de relayer l’incompréhension des jeunes, issus de la génération d’après guerre froide concernant la légitimé de « ces armes d’une autre époque ».
Et pourtant, ces nombreuses interrogations ne sont pas reflétées dans les plus hautes sphères de l’État. La France maintient inconditionnellement son discours sur la nécessité des armes nucléaires pour garantir « la liberté et l’indépendance » de ses citoyens ; continue d’investir des milliards d’euros dans leur modernisation ; et persiste en parallèle à vanter l’engagement exemplaire de la France en matière de désarmement, sans laisser la moindre place au débat.
Selon un représentant du Ministère français des Affaires étrangères, ce groupe de travail est trop ouvert à la société civile. Le manque d’aspirations communes entre celle-ci et le Ministère empêcherait la France de participer à ces discussions de façon constructive. Le fait que les seules discussions auxquelles elle soit prête à participer soient celles dans lesquelles elle est d’accord avec ses interlocuteurs est représentatif du niveau de transparence en France dans le domaine du désarmement nucléaire. Cette étroitesse d’esprit prouve que la France n’est pas seulement déconnectée des préoccupations internationales, mais également des questions soulevées sur son propre territoire.
C’est pourquoi il est si important que la société civile française soit présente et entendue pendant le groupe de travail de l’ONU, afin de montrer que le soi-disant « consensus » invoqué par les autorités françaises est un mythe. De ce fait, il a été extrêmement encourageant pour nous de voir autant d’Etats réagir positivement à l’appel du groupe de travail à composition non limitée en février, et d’entendre autant de nations s’exprimer en faveur d’une interdiction des armes nucléaires.
La société civile française a besoin que les vrais « désarmeurs » appellent la France à prendre ses responsabilités et à avancer vers un monde sans armes nucléaires, comme elle prétend vouloir le faire, et montrent qu’ils s’attachent aux actes au delà des mots. Nous encourageons tous les États à participer au groupe de travail à composition non limitée et à s’engager d’urgence dans l’élaboration de normes légales les plus fortes possibles. Nos efforts doivent aboutir à la négociation d’un traité d’interdiction pour garantir la sécurité de tous dans un monde sans armes nucléaires.
Article de Silene Theobald initialement publié en anglais dans le Rapport sur l’OEWG de Reaching Critical Will du 2 mai 2016.