Le TIAN et l’interdiction de financement

Le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) qui est entré en vigueur le 22 janvier 2021 dispose dans son article premier d’un ensemble d’interdiction dont celui qui recouvre la notion d’interdiction de financement et d’investissement : 

  • 1 (e) : « chaque État membre du traité s’engage à ne jamais, en aucune circonstance « aider, encourager ou inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à se livrer à une activité interdite à un État Partie par le présent Traité« .

Cela signifie qu’un État membre ne peut pas aider un autre État ou une personne physique ou morale à (article 1.a) « mettre au point, tester, produire, fabriquer, acquérir de toute autre manière, posséder, stocker, transférer, recevoir, menacer d’utiliser ou utiliser des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires« . Ainsi, cette action économique réalisée par une institution bancaire auprès d’une entreprise qui apporte une contribution substantielle à la production de systèmes d’armes nucléaires est désormais illégale. En effet, il aurait été illogique d’interdire la production (art 1.a) de ces armes sans interdire leur financement qui contribuent à la réalisation de cette production.

Il faut relever que le TIAN reprend l’exact intitulé des Conventions sur l’interdiction des mines antipersonnel (entrée en vigueur en 1999) et des armes à sous-munitions (entrée en vigueur en 2010). Les États membres de ces traités internationaux — dont la France en 2017— ont reconnu cette forme d’assistance (dans ces conventions) et certains l’ont intégré dans leur législation nationale (Belgique, Espagne, Irlande, Italie, les îles Samoa, Liechtenstein, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Suisse). De plus, nous devons observer que le président Macron a lors de son discours sur la dissuasion (7 février 2020) confirmé l’existence  de ce droit à « l’interdiction de financement des armes nucléaires » en indiquant que « ce traité ne créera aucune obligation nouvelle pour la France, ni pour l’Etat, ni pour les acteurs publics ou privés sur son territoire« …. Le financement et l’investissement sont donc des éléments clés de ce traité.

Cette interdiction d’investissement concerne tous les organismes financiers : les banques comme les fonds de pensions.  

La position des banques françaises :

Aucune banque française ne prend actuellement en compte la nouvelle norme que représente le TIAN. Toutes ces institutions se placent donc actuellement en dehors du droit international, et elles ne l’ignorent pas, celles-ci suivant et redoutant ce dossier ! Pour ces banques la production de systèmes d’armes nucléaires est un danger, sauf si elles sont produites pour la France, pour l’Alliance atlantique. Étonnante vision ! De, même au vu de leur compréhension biaisée du TNP, elles ne s’interdisent pas aussi de financer les entreprises qui produisent des systèmes destinés à la Russie ou à la Chine… 

  • Pour la BNP-Paribas, sa politique sectorielle « défense  et sécurité » date de 2019. Il est mentionné qu’elle « ne fournira pas de produits et services financiers, et n’investira pas dans des entreprises identifiées comme étant impliquées dans les armes controversées ». Cependant, elle prend soin de noter qu’elle exempte de ces mesures toutes les sociétés qui contribuent aux programmes nucléaires des États appartenant à l’Alliance atlantique (OTAN)…. Le montant des investissements réalisés entre janvier 2017 et janvier 2019 est de 9 037 milliards € ;
  • Pour la Société générale, sa politique sectorielle « défense et sécurité » date de 2020. Le terme « d’arme controversée », pour définir les armes nucléaires (commes les autres armes de destruction massive et armes dites inhumaines) n’est plus présent contrairement à celui de 2012. Selon la partie « Exclusions d’armes et d’équipements », la SG exclut de son activité « les armes et programmes militaires nucléaires des États non dotés au titre du TNP ». Non seulement, on comprend que cette banque peut financer les programmes nucléaires des 5 États dotés, mais aussi de ceux qui ne sont pas membres de ce traité comme Israël, l’Inde ou le Pakistan Le montant des investissements réalisés entre janvier 2017 et janvier 2019 est de 7 436,7 milliards € ;
  • Pour le Crédit Agricole, sa politique sectorielle « armement » date de 2014. Si le CA reconnaît les « armements sensibles » (armes nucléaires, chimiques, biologiques ou leurs vecteurs et les munitions à uranium appauvri) et « s’interdit de financer le commerce international de ce type d’armes ou de leurs vecteurs ». Sa politique précise qu’elle « ne finance en aucun cas les armes nucléaires. En France, ce type de financement est assuré par l’État qui charge la Direction des applications militaires (DAM), pôle Défense et sécurité du CEA, de concevoir, fabriquer, et maintenir en condition opérationnelle les têtes nucléaires« . Cependant, la CA n’exclut en rien le financement des vecteurs, des équipements associés (comme les plateformes de lancement dédiées) conçus pour mettre en œuvre les armes nucléaires ou pour assurer leur pérennité (tels les systèmes de simulation)… Le montant des investissements réalisés entre janvier 2017 et janvier 2019 est de 7 062,1 milliards € ;
  • Pour le Crédit Mutuel, sa politique sectorielle « défense et sécurité » date de 2020. Le CM parle d’ « armes non conventionnelles » et les exclut « pour le compte d’Etats non autorisés à détenir ce type d’armes par le TNP » ; donc les accepte pour la France par exemple. Le montant des investissements réalisés entre janvier 2017 et janvier 2019 est de 1 357,4 milliards €.

Nous avons rencontré à différentes reprises ces acteurs bancaires (comme ici) pour leur faire part de nos interrogations et de nos demandes.

Désinvestir c’est possible !

Avec l’entrée en vigueur du TIAN, plusieurs dizaines d’institutions financières – des banques comme des fonds de pension – de réputations internationales ont compris le non-sens économique d’investir dans ces armes. Selon les travaux de l’ONG néerlandaise PAX, membre de ICAN,  le nombre total de ces institutions qui ont exclu les  entreprises produisant des systèmes d’armes nucléaires est ainsi passé de 18 à 2016 à 23 en 2018 à 36 en 2019. Parmi ces banques nous pouvons relever en :

  • Allemagne : Deutsche Bank ;
  • Australie : Bank Australia ;
  • Belgique : la banque KBC, (voir sa politique à l’égard des armes nucléaires sur le TIAN et sa liste d’exclusion)
  • Etats-Unis : Green Century, Zevin Asset Management ;
  • Italie : Banca Etica ;
  • Japon : la Japan Post Bank Co, la Mitsubishi UFJ Financial Group, la Resona Bank et plus de 16 autres institutions ;
  • Norvège : le fonds de pension Den Norske Bank le plus important au monde qui justifie son action par le fait que, par « leur utilisation normale [les armes nucléaires] violent les principes humanitaires de base » ;
  • Pays Bas : ABP, le fonds de pension des fonctionnaires (500 milliards de dollars) qui se fonde sur le critère qu’il « existe un traité international qui vise à éradiquer [les systèmes d’armes nucléaires] » ;
  • Suède : les fonds de pension AP1, AP2, AP4 ;
  • Suisse : Ethos.

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