Dans une tribune au Monde « Armes nucléaires : « Isoler la France du dialogue sur le désarmement ne peut que fragiliser notre dénonciation des gesticulations de Poutine « (17 juin 2022), un collectif de 56 parlementaires français et eurodéputés demande au chef de l’Etat, Emmanuel Macron, d’assister à la première réunion du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires adopté par l’ONU, qui se tiendra à Vienne, du 21 au 23 juin.
Cosignée par 56 parlementaires, dont M. Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère (Écologiste), M. Pierre Laurent, Sénateur de Paris (PC), M. Régis Juanico, député de la Loire (PS), M. Hubert Julien-Laferrière, député du Rhône (Génération Écologie), M. Bastien Lachaud député de Seine Saint-Denis (LFI), M. Jean-Paul Lecoq député de la Seine-Maritime (PC), M. Fabien Roussel, député du Nord (PC), M. Mounir Satouri eurodéputé (Groupe des Verts/ALE), Mme Marie Toussaint eurodéputée (Groupe des Verts/ALE), M Jean-Pierre Sueur, Sénateur du Loiret (PS), M. Cédric Villani, député de l’Essonne (Génération Écologie)
Monsieur le président, le 22 septembre 2020, vous avez affirmé devant l’Assemblée générale des Nations unies que « le multilatéralisme n’est pas seulement un acte de foi, c’est une nécessité opérationnelle ». A l’heure où Vladimir Poutine menace d’utiliser l’arme nucléaire dans la guerre d’agression qu’il mène contre l’Ukraine, vous avez l’occasion d’affirmer votre refus de cette menace.
Sans le droit international humanitaire et les conventions régissant l’utilisation de systèmes d’armes, notre monde serait anarchique. Et même si nous ne partageons pas tous l’objectif final du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), adopté par l’Organisation des nations unies (ONU), nous ne comprendrions pas que la France laisse son siège vide lors de la tenue, du 21 au 23 juin, de sa première réunion à Vienne.
La guerre qui sévit sur le territoire européen montre une nouvelle fois que la population civile est victime d’armes explosives à large rayon d’impact. Face à cela, près d’une centaine de parlementaires français se sont mobilisés et ont publié une tribune dans le quotidien La Croix, le 22 mars, pour à la fois dénoncer cet usage et indiquer au président de ne pas refuser l’adoption prochaine, aux Nations unies, d’une déclaration politique qui restreindrait cette pratique. Il semble qu’Emmanuel Macron a été sensible à cet appel, à lire sa déclaration dénonçant l’utilisation par la Russie d’« armes explosives dans des zones densément peuplées » au Forum humanitaire européen, le 22 mars.
Déstabilisation
La menace de conséquences humanitaires catastrophiques qui résulteraient de tout usage d’armes nucléaires est une autre réalité de cette guerre. En effet, le président Poutine a décidé d’utiliser sa « grammaire nucléaire » à travers l’annonce de la mise en régime spécial d’alerte de ses forces nucléaires, avec des discours menaçants, des exercices de tir ou encore la diffusion d’images de notre capitale, Paris, détruite par un missile (« Satan 2 ») d’une puissance de 50 mégatonnes. Devant cette escalade, nous ne pouvons nous satisfaire, comme seule réponse, d’une affirmation par les autorités politiques françaises de la possession d’une force nucléaire.
Ces provocations de la Russie ont, malheureusement, accentué la déstabilisation du régime international de désarmement et de non-prolifération nucléaire. Régime déjà très instable en raison des programmes de modernisation et de renouvellement mis en œuvre, autant par la France que par l’ensemble des puissances nucléaires.
Depuis sa création, l’ONU débat du désarmement nucléaire. Le 3 janvier, dans le cadre du P5 [groupe des cinq pays dotés de l’arme nucléaire au sens du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires, le TNP], le président de la République a affirmé avec M. Poutine « qu’une guerre nucléaire ne peut être gagnée et ne doit jamais être menée ».
C’est l’objet du TIAN, adopté majoritairement par l’ONU en 2017, qui est le premier instrument juridique à interdire globalement les armes nucléaires. En vigueur depuis le 22 janvier 2021, il complète et renforce notamment le TNP. Ces deux traités ont pour objectif de protéger les populations civiles ; les armes nucléaires étant destinées, comme ne cesse de le rappeler M. Poutine, à frapper des villes.
La première réunion des Etats parties au TIAN se tiendra à l’Office des Nations unies à Vienne. Plus d’une centaine d’Etats seront présents (Etat membre ou simple signataire), ainsi que des Etats observateurs. Ce statut offre le moyen de suivre les débats et d’exposer des positions, sans participer aux votes. C’est également le statut d’organisations internationales telles que la Croix-Rouge ou la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires.
« Initiative humanitaire »
Cette réunion est le résultat d’un long processus qui a débuté en 2010. La communauté internationale, notamment via le TNP, a en effet réinvesti le sujet des conséquences humanitaires catastrophiques des armes nucléaires : groupes de travail de l’ONU (en 2013, puis 2016) et trois conférences intergouvernementales, réunissant une écrasante majorité des Etats. Cela constitue ce qui est aujourd’hui connu sous le nom de « l’initiative humanitaire ». La France a toujours laissé son siège vide dans ce processus de dialogue. Ces rencontres ont ouvert la porte à la négociation du TIAN. Là aussi, la France a refusé de siéger, affaiblissant sa stature particulière d’Etat membre permanent du Conseil de sécurité.
L’opposition à ce traité est une chose, le refus de dialoguer avec la majorité des Etats nous apparaît fort dommageable à l’heure où les menaces nucléaires sont réelles. Continuer d’isoler la France de la scène onusienne du désarmement ne peut que fragiliser notre crédibilité et notre cohérence dans notre dénonciation de cette dangereuse gesticulation nucléaire.
Participer à cette réunion ne veut pas dire entériner ce traité. La France doit être présente comme « Etat observateur », comme vont le faire plusieurs pays européens (Allemagne, Finlande, Norvège, Suisse, Suède). Cette attitude évitera aussi que notre pays soit placé dans la catégorie des absents comme devrait l’être la Russie. Enfin, face aux Françaises et aux Français qui s’interrogent sur le risque de guerre nucléaire, une absence serait incompréhensible.
Il y a urgence à engager un rétablissement de la confiance entre les Etats nucléaires et non nucléaires et leurs populations. La présence de la France, comme nous le souhaitons, en qualité d’Etat observateur, serait à ce titre un signal fort en faveur de la sécurité internationale.
Tribune co-signée par 56 parlementaires des Assemblées du :
Sénateurs : Mme Eliane Assassi, Sénatrice de Seine-Saint-Denis (PC), M. Jérémy Bacchi, Sénateur des Bouches-du-Rhône (PC), M Guy Benarroche Sénateur des Bouches-du-Rhône (Écologiste), M. Eric Bocquet, Sénateur du Nord (PC), Mme Céline Brulin, Sénatrice de Seine-Maritime (PC), M. Yan Chantrel, Sénateur des Français établis hors de France (PS), Mme Cécile Cukierman, Sénatrice de la Loire (PC), M. Ronan Dantec Sénateur de Loire-Atlantique (Écologiste), M Gilbert Luc Devinaz, Sénateur du Rhône (PS), M. Thomas Dossus Sénateur du Rhône (EELV), M Jacques Fernique, Sénateur du Bas-Rhin (EELV), Mme Martine Filleul, Sénatrice du Nord (PS), M. Fabien Gay, Sénateur de Seine-Saint-Denis (PC), Mme Michelle Gréaume, Sénatrice du Nord (PC), M. Guillaume Gontard, Sénateur de l’Isère (Écologiste), M. Gérard Lahellec, Sénateur des Côtes-d’Armor (PC), Mme Annie Le Houérou, Sénatrice Côtes d’Armor (PS), M. Pierre Laurent, Sénateur de Paris (PC), MM. Didier Marie, sénateur de la Seine-Maritime (PS), Mme Monique de Marco, Sénatrice de la Gironde (EELV), M. Jean-Pierre Sueur, Sénateur du Loiret (PS), M. Daniel Salmon, Sénateur d’Ille-et-Vilaine (EELV), Mme Angèle Preville, Sénatrice du Lot (PS), Mme Sophie Taillé-Polian, Sénatrice du Val-de-Marne (Génération.S), M. Jean-Claude Tissot, Sénateur de la Loire (PS), M. Pascal Savoldelli, Sénateur du Val-de-Marne (PC), Mme Marie-Claude Varaillas, Sénatrice de Dordogne (PC), Mme Melanie Vogel, Sénatrice représentant les Français établis hors de France (EELV), Laurence Cohen, Sénatrice du Val-de-Marne (PC),
Député.e.s : Moetai Brotherson, député de Polynésie Française (PC), M. Alain Bruneel, député du Nord (PC), Mme Marie-George Buffet, députée de Seine-Saint-Denis (PC), Mme Karine Lebon, députée de La Réunion (PC), M. Hubert Julien-Laferrière, député du Rhône (Génération Écologiste), M. Sébastien Jumel, député de la Seine-Maritime (PC), M. Régis Juanico, député de la Loire (PS), M. Bastien Lachaud député de Seine Saint-Denis (LFI), M. Jean-Paul Lecoq député de la Seine-Maritime (PC), M. François-Michel Lambert, député des Bouches du Rhône, M. Sébastien Nadot, député de Haute-Garonne (EDD), M. Fabien Roussel, député du Nord (PC), Mme Sabine Rubin, Députée de la Seine Saint-Denis (LFI), Mme Maina Sage (Agir ensemble), Députée de la Polynésie Française, M. Cédric Villani, député de l’Essonne (Génération Écologie)
Eurodéputé.e.s :M. François Alfonsi (Groupe des Verts/ALE), M. Mounir Satouri (Groupe des Verts/ALE), M. Benoît Biteau (Groupe des Verts/ALE), M. Damien Carême (Groupe des Verts/ALE), M. David Cormand (Groupe des Verts/ALE), Mme Gwendoline Delbos-Corfield (Groupe des Verts/ALE), Mme Karima Delli (Groupe des Verts/ALE), M. Claude Gruffat (Groupe des Verts/ALE), M. Yannick Jadot (Groupe des Verts/ALE), Mme Michèle Rivasi (Groupe des Verts/ALE), Mme Caroline Roose, (Groupe des Verts/ALE), Mme Marie Toussaint (Groupe des Verts/ALE),