COMMUNIQUÉ – de plus en plus d’institutions financières arrêtent d’investir dans les armes nucléaires

Analyse du nouveau rapport 2023 de Don’t Bank on the Bomb

De plus en plus de banques dans le monde arrêtent d’investir dans la production d’armes nucléaires, mais pas en France !

 

 

Un nouveau rapport de l’ONG Pax « Moving Away from Mass Destruction: 109 exclusions of nuclear weapon producers», partenaire de ICAN, dresse le profil de 109 institutions financières qui excluent totalement ou partiellement des activités économiques avec les entreprises productrices de systèmes d’armes nucléaires. En 2014, elles étaient seulement au nombre de 35. L’étude de Pax montre que la majorité d’entre elles mettent en application de façon très concrète le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) et ce même dans des pays qui s’opposent à celui-ci ! Le Crédit Mutuel Océan, filiale du Crédit Mutuel, aurait pu être inscrit dans cette liste ; mais sa démarche peu éthique et déontologique de ne plus reconnaître le TIAN, depuis juillet 2023, fait qu’aucune banque française ne respecte entièrement le droit international.

 

Financer les armes nucléaires est interdit par le droit international

Le Traité des Nations unies sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN) est en vigueur depuis le 22 janvier 2021, et compte 92 États signataires dont 68 États parties. Il dispose dans son article premier d’un ensemble d’interdiction, dont celle du financement et de l’investissement (alinéa e) : « chaque État membre du traité s’engage à ne jamais, en aucune circonstance : aider, encourager ou inciter quiconque, de quelque manière que ce soit, à se livrer à une activité interdite à un État Partie par le présent Traité ».

Cela signifie qu’un État membre ne peut pas aider un autre État ou une personne physique ou morale à « mettre au point, tester, produire, fabriquer, acquérir de toute autre manière, posséder, stocker, transférer, recevoir, menacer d’utiliser ou utiliser des armes nucléaires ou autres dispositifs explosifs nucléaires ». Ainsi, des actions économiques réalisées par une institution bancaire auprès d’une entreprise qui apporte une contribution substantielle à la production de systèmes d’armes nucléaires sont désormais illégales. En effet, il aurait été illogique d’interdire la production (art. 1.a) de ces armes et la politique de dissuasion (1.d) de leur mise en œuvre sans interdire, leur financement qui contribue à la réalisation de cette production. L’interdiction de financement est donc un élément clé du TIAN, pour assurer la mise en œuvre de l’élimination des armes nucléaires.

Il faut relever que le TIAN reprend l’exact intitulé des Conventions sur l’interdiction des mines antipersonnel (entrée en vigueur en 1999) et des armes à sous munitions (entrée en vigueur en 2010). Les États membres de ces traités internationaux — dont la France en 2017 — ont reconnu dans ces conventions cette forme d’assistance et certains l’ont même intégrée dans leur législation nationale (Belgique, Espagne, Irlande, Italie, les îles Samoa, Liechtenstein, Luxembourg, Nouvelle-Zélande, Pays-Bas, Suisse).

Les banques et la bombe nucléaire

Les banques (en France comme dans le reste du monde) répondent à des obligations nationales, internationales et mettent en œuvre une politique de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), qui inclut par exemple le respect du droit international, des droits de l’Homme, l’application des 17 objectifs du développement durable (dont le n° 16 « paix, justice et institutions efficaces »).

Il est  essentiel de relever qu’un grand nombre de banques interdit le financement de certains types d’armes, et ce même si leur État s’y oppose ou s’il n’existe pas une réglementation (traité) internationale. À ce titre, il faut relever que les banques françaises (hormis le Crédit agricole depuis juillet 2023) s’appuient sur une réglementation belge pour justifier leur choix de ne pas financer la production d’armes à uranium appauvri ; et ce alors même que la France ne reconnaît pas cette interdiction et dispose d’un stock d’obus à uranium appauvri pour ses blindés Leclerc.

Tous ces éléments se retrouvent, en grande partie dans des politiques sectorielles « défense » pour justifier leur non-participation économique à des programmes d’armement. La plupart d’entre elles considèrent les armes nucléaires comme des « armes controversées ». Il n’existe pas de définition stricte de ce concept, mais on s’accorde à dire qu’une arme controversée est une arme qui ne peut être utilisée sans violer les lois de la guerre. Toute arme indiscriminée, inhumaine ou disproportionnée est généralement considérée comme controversée. De fait, cela regroupe les mines antipersonnel, les armes à sous munitions, les armes chimiques, biologiques et les armes nucléaires.

En France, la plupart des banques (BNP-Paribas, Société générale, Crédit Agricole, La Banque Postale) adoptent cette terminologie pour qualifier les armes nucléaires, mais certaines les qualifient « d’armes non conventionnelles et de destruction massive » comme le Crédit Mutuel.

Mais, cela n’empêche pas les banques de réaliser un business atomique, car celui-ci est extrêmement florissant. Ainsi en 2022, les 9 États nucléaires (États-Unis, Russie, Royaume-Uni, France, Chine, Israël, Inde, Pakistan, Corée du Nord) ont consacré pas moins de 78,84 milliards d’euros à leurs programmes de modernisation et de renouvellement de leurs arsenaux nucléaires. En effet, les entreprises produisant des systèmes d’armes nucléaires (par exemple pour la France Thales, Safran, Airbus, CIMN, DCNs, Leonardo) peuvent avoir recours à des financements externes réguliers pour mener à bien leurs activités. Des financements qui sont attribués par des institutions financières (banques, fonds de placement) et qui tirent ainsi des profits en pariant sur le risque d’une guerre nucléaire !

En 2014, Pax a répertorié 35 institutions qui ne participaient pas à des investissements dans l’industrie du nucléaire militaire. En 2018, ce nombre est passé à 63, puis à 77 en 2019. Depuis l’entrée en vigueur du TIAN, le nombre est passé à plus de 100.

Les très bons élèves

Selon le rapport 2023 de Pax, sur les 109 institutions dont le profil a été dressé, 55 excluent totalement toute implication financière avec les entreprises productrices d’armes nucléaires. C’est-à-dire qu’elles intègrent une approche de tolérance zéro à l’égard de tout investissement dans les entreprises productrices d’armes nucléaires et ce quel que soit la situation géographique de ces entreprises et si elles appartiennent à l’OTAN ou sont membres du Traité de non-prolifération nucléaire (TNP). Aucune banque française ne figure dans cette liste.

Les institutions recensées sont basées autant dans des États (Irlande, Luxembourg, Nouvelle-Zélande) qui ont ratifié le TIAN, que dans des États (Allemagne, Australie, Belgique, Danemark, États-Unis, Finlande, Italie, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni, Suède) qui s’opposent ou qui s’interrogent (Suisse) sur cette nouvelle norme. Cela démontre ainsi la force du droit international. Six nouvelles institutions ont été comptabilisées dans ce nouveau rapport : Change Finance et Northstar Asset Management (États-Unis), Ethius Invest (Suisse), Fisher funds (Nouvelle-Zélande), Sparebank1 SR-bank (Norvège), Svenska Handelsbanken (Suède).

Les élèves en progrès

Les autres institutions — au nombre de 54 — ont une politique qui n’est pas exhaustive. Si elles ont pris des mesures pour limiter les investissements dans les fabricants de systèmes d’armes nucléaires, leur politique n’est pas exhaustive et n’empêche pas toutes les interactions financières. Ces banques considèrent donc que les armes nucléaires sont controversées, mais uniquement pour une catégorie d’État ! Parmi les banques listées dans ce rapport nous retrouvons notamment deux banques françaises, qui jouent ce double jeu :

  • La BNP-Paribas, dont la politique sectorielle « défense  et sécurité» date de 2019. Il est mentionné qu’elle « ne fournira pas de produits et services financiers, et n’investira pas dans des entreprises identifiées comme étant impliquées dans les armes controversées ». Cependant, elle prend soin de noter qu’elle exempte de ces mesures toutes les sociétés qui contribuent aux programmes nucléaires des États appartenant à l’Alliance atlantique (OTAN), car ils seraient « autorisés à posséder des armes nucléaires en vertu du Traité de non-prolifération » ; ce qui est totalement faux pour tous les États de l’OTAN, à l’exception des États-Unis, du Royaume-Uni et de la France (et encore, ce droit à posséder ces armes est soumis à l’obligation d’agir pour le désarmement) ! Le montant des investissements réalisés entre janvier 2020 et juillet 2022, dans ce secteur est de 12 418,47 milliards €.
  • Le Crédit agricole, qui a mis à jour sa politique sectorielle en juillet 2023 (la précédente version datait de 2014), ne reconnaît plus qu’une seule catégorie d’armes, les armes dites controversées (avant il y avait la catégorie « armement sensible » qui intégrait armes nucléaires, chimiques, biologiques ou leurs vecteurs et les munitions à uranium appauvri). Il est précisé que le CA « ne finance en aucun cas les armes nucléaires. En France, ce type de financement est assuré par l’État qui charge la Direction des applications militaires (DAM), pôle Défense et sécurité du CEA, de concevoir, fabriquer, et maintenir en condition opérationnelle les têtes nucléaires ». Cependant, le Crédit agricole n’exclut en rien le financement des vecteurs, des équipements associés (comme les plateformes de lancement dédiées) conçus pour mettre en œuvre les armes nucléaires ou pour assurer leur pérennité (tels les systèmes de simulation)… Le montant des investissements réalisés, dans ce secteur, entre janvier 2020 et juillet 2022 est de 8 937,63 Mds €.
Le cas du Crédit Mutuel Océan

Comme le relève le rapport, Le Crédit Mutuel Océan (CMO) est une filiale du groupe Crédit Mutuel, et à ce titre ne peut y figurer, car seul sont analysées les politiques des institutions financières au niveau des groupes. Néanmoins, Pax a souhaité souligner l’attitude de cette banque qui dans sa politique sectorielle défense datée de décembre 2022, stipule à deux reprises le TIAN :

  • « Au niveau mondial, le droit international régule le commerce des armements, et a adopté, […] en 2017, un traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN entré en vigueur en 2021)».
  • « Aucun financement et service bancaire ne seront apportés par le CMO aux entreprises dont les activités sont liées aux armes controversées, non conventionnelles et de destruction massive : mise au point, fabrication, production, acquisition, stockage, conservation, offre, cession, importation, exportation, commerce, courtage, transfert et l’emploi – tel que défini en détail dans la loi française ou dans le traité TIAN des Nations unies».

Ce positionnement a fait du CMO la première banque en France à exprimer publiquement son soutien au TIAN. Cependant, en juillet 2023, les mentions liées au TIAN ont été soudainement supprimées du document, qui néanmoins apparaît toujours avec la même date de publication (décembre 2022) ! De fait, toutes personnes qui viendraient à lire ce document ne peuvent pas se douter que celui-ci a changé totalement de nature et ne respecte plus les engagements approuvés en décembre 2022. Ce revirement soudain et en toute discrétion, laisse à penser que Le Crédit Mutuel Océan – s’est fait taper sur les doigts pour avoir reconnu le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires !

Nous appelons les institutions financières françaises 
  • La BNP-Paribas et le Crédit agricole à faire évoluer leur politique sectorielle, afin de rejoindre les 55 institutions qui respectent entièrement le Traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires ;
  • Le Crédit Mutuel Océan à republier son document original de politique sectorielle de défense et de sécurité, qui mentionnait la reconnaissance du Traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires ;
  • Les banques françaises – notamment La banque Postale, la Société générale, le groupe PBCE – À intégrer dans leur politique sectorielle « Armement » le Traité des Nations Unies sur l’interdiction des armes nucléaires.
  • Les Français·es à interroger leur banque sur la cohérence de leurs investissements dans des entreprises participant à la production de systèmes d’armes nucléaires et leurs discours en faveur du développement durable et de l’investissement responsable.

 

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