Ce documentaire, diffusé sur France 5 le 22 mars dernier, s’attache à expliquer au téléspectateur ce que représentent les armes nucléaires pour la France, pour sa grandeur et sa sécurité, en s’appuyant presque essentiellement sur les interventions des chefs d’état-major des armées successifs de la Vème République.
par les membres du comité de pilotage d’ICAN Youth
Visuellement très travaillé et esthétique, ce documentaire, coproduit par l’Établissement de Communication et de Production Audiovisuelle du Ministère de la Défense (ECPAD), fait très vite apparaître son manque d’objectivité sur le fond. Le message qu’il tend à faire passer est clair : l’arme nucléaire est le « vecteur principal de la paix », la garantie contre des conflits interétatiques majeurs. Malheureusement, les auteurs ne laissent aucune place au débat (moins de 2 minutes), alors que des voix s’élèvent actuellement pour souligner les nombreuses fois où la dissuasion a en fait échoué, provoquant l’escalade de certaines crises. Citons la crise des fusées de Cuba en 1962 alors que les deux rivaux possédaient des armes nucléaires, ou encore la guerre du Kippour, lorsque l’Égypte et la Syrie lancèrent une offensive contre Israël en 1973 alors qu’Israël possédait des armes nucléaires.
C’est sans sourciller que le documentaire affirme que la France s’est déjà engagée sur la voie du désarmement nucléaire, puisqu’elle a décidé à la fin des années 1990 de démanteler ses usines de production de matières fissiles (plutonium militaire et uranium hautement enrichi). Or, le documentaire nous emmène ensuite dans les locaux très secrets du Centre d’études de Valduc et nous montre comment la matière fissile est recyclée, presque à l’infini. Souvent utilisé par les diplomates français, l’argument selon lequel l’interdiction de la production de matières fissiles entrainerait nécessairement le désarmement nucléaire n’est donc qu’une fumisterie visant à discréditer toute initiative de désarmement, au profit d’un traité d’interdiction de production de matières fissiles (le traité FMCT) dont la France est un fervent promoteur et qui permettrait aux États qui possèdent des armes nucléaires de les conserver aussi longtemps qu’ils le souhaitent.
Ainsi, le projet de traité FMCT est trop souvent présenté comme, en soi, un traité de désarmement et de lutte contre la prolifération puisqu’il interdit la production de nouvelles matières fissiles et qu’à terme il ne sera donc plus possible de fabriquer de nouvelles têtes nucléaires lorsque les stock de matière seront épuisés. Pour promouvoir l’idée de ce traité, un ancien Ambassadeur de la France auprès de la Conférence du Désarmement à Genève rappelait souvent qu’« avant de vider la piscine, il faut couper le robinet qui la remplit ». La France omet pourtant de préciser qu’un tel traité n’aurait en fait aucune incidence pour les États qui possèdent déjà des armes nucléaires. En effet, il leur suffira, comme le fait déjà la France, de recycler les matières fissiles issues des armes vieillissantes, et de les réintégrer dans les nouvelles têtes nucléaires. Il semble ironique de vouloir demander à des États d’arrêter de produire des matières fissiles, considérées comme trop dangereuses, alors que la France, et d’autres États détenteurs de la bombe, ont les moyens de produire des armes nucléaires à l’infini. Ce double jeu constitue d’ailleurs l’une des raisons pour lesquelles les discussions autour de ce traité durent depuis 20 ans sans aboutir.
Un autre élément inquiétant, déjà relevé par les organisations Initiative pour le désarmement nucléaire (IDN) et Observatoire des armements, est la révélation qu’en cas d’empêchement du chef de l’État lors d’une guerre, l’ordre de déclencher une frappe nucléaire sera dévolu à une personne désignée secrètement par le Président, et résidant peut-être en province. Cette procédure n’a, selon eux, aucune légitimité constitutionnelle et rendrait l’utilisation de l’arme nucléaire dépourvue de toute légitimité politique, puisqu’indépendante de la fonction de Président, élu et donc légitime pour prendre une telle décision.
Une suggestion formulée par l’actuel chef d’état-major des armées, interviewé pour ce documentaire, est également surprenante. Il affirme que la réflexion menée sur l’évolution actuelle du terrorisme international « devrait être corrélée au concept de dissuasion nucléaire ». L’idée d’une frappe nucléaire contre une telle cible, sans frontière ni pouvoir institutionnalisé, paraît en inadéquation avec l’évolution actuelle des stratégies consacrées à la lutte contre le terrorisme.
Enfin, la réalisation du documentaire n’a apparemment pas jugé bon de supprimer les commentaires parfois bien cyniques des intervenants, notamment celle du directeur de la Direction des applications militaires (DAM) du Commissariat à l’énergie atomique (CEA) qui déclare « avec la sûreté, on ne transige pas », la préoccupation première de la DAM étant de faire en sorte que « l’on ai jamais un accident nucléaire sur un système d’arme car cela condamnerait les armes nucléaires françaises ». Sont alors laissés de côté les réels risques en terme humanitaire, mais aussi environnemental d’un accident qui provoquerait une explosion nucléaire.
Ce n’est qu’à la toute fin du documentaire que la parole est donnée à un défenseur du désarmement nucléaire, en la personne de l’ancien ministre de la Défense, Hervé Morin. Mais son intervention, contrairement à celles des militaires, est de très courte durée, et immédiatement discréditée par les deux derniers intervenants qui se focalisent sur le caractère inconscient d’un désarmement unilatéral de la part de la France, alors qu’un groupe de travail de l’ONU, créé en février dernier, est chargé de faire avancer les négociations multilatérales sur le désarmement nucléaire. Les discussions qui y ont lieu insistent sur la nécessité de l’adoption d’un traité d’interdiction des armes nucléaires, discussions auxquelles la France refuse de participer.
Pour conclure, ce documentaire semble contribuer au manque de débat qui existe en France autour des armes nucléaires. Alors qu’aujourd’hui, plus de 120 États s’engagent pour la prise de mesures juridiques afin de combler les lacunes actuelles qui encadrent la possession et l’utilisation de ces armes, il est dommage que les citoyens français manquent d’informations leur permettant de participer à un réel débat public sur la question de l’arme nucléaire.
Le film a été suivi d’un court débat opposant le professeur François Geré à Arielle Denis d’ICAN international, disponible sur France5.fr
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