Tribune publiée dans Libération, le 12 février 2014.
Demain, une conférence internationale sur les conséquences humanitaires des frappes nucléaires se tiendra au Mexique. La France ne semble pas décidée à y participer.
Les conséquences humanitaires des frappes nucléaires ont, pour la première fois, fait l’objet d’une conférence internationale en mars à l’initiative du gouvernement norvégien. Les 13 et 14 février prochains, le Mexique organise une conférence de suivi sur le même thème. La France pourrait s’inscrire dans ces initiatives pour saisir l’occasion de revoir sa doctrine nucléaire à la lumière des réalités du XXIe siècle.
«Nous sommes convaincus que les conséquences catastrophiques des armes nucléaires doivent constituer le point de départ de tous les débats et de tous les efforts sur le désarmement nucléaire», ont déclaré 125 États en octobre à l’ONU. Cette nouvelle approche qui se focalise sur les risques des armes nucléaires établit un nouveau paradigme pour revisiter ce vieux débat. La conclusion de la conférence norvégienne, à laquelle 128 pays et de nombreuses organisations internationales ont participé, a été formulée par le ministre norvégien des Affaires étrangères : «Il n’existe aucun État ni organisation nationale ou internationale qui pourraient prendre en charge de façon appropriée les dommages causés par une frappe nucléaire, ces armes ont démontré leurs effets dévastateurs aussi bien immédiats qu’à long terme, et ces dévastations ne s’arrêteront pas aux frontières, mais auront un impact régional et mondial.»
La santé publique menacée par le nucléaire
Malgré ce que nous savons des armes nucléaires — les horreurs d’Hiroshima et de Nagasaki, les conséquences des essais nucléaires en Polynésie, en Algérie, au Kazakhstan, dans le Xinjiang, les îles Marshall et ailleurs —, les débats autour de ces armes ont été limités à la dissuasion ou au risque de prolifération et de terrorisme nucléaire. C’est presque comme si nous avions fermé les yeux sur l’impact de ces armes sur la santé publique, l’environnement et le climat mondial, mais aussi l’économie ou le développement.
La France, qui a refusé de participer à la conférence d’Oslo a fait savoir qu’elle considérait ces discussions comme une «distraction» et ne semble pas décidée à participer à la Conférence de suivi au Mexique. Malgré les réductions importantes des arsenaux, l’objectif de l’élimination ne progresse pas. Il est vrai que les forums qui discutent des armes nucléaires ont été taillés sur mesure pendant la guerre froide par les cinq pays nucléaires du traité de non-prolifération (TNP). Mais les 184 autres membres de ce traité sont de plus en plus frustrés du peu moyens qu’ils ont pour faire entendre leurs inquiétudes et leurs exigences.
Les États ont un devoir de protection des peuples
Comprendrait-on que les dictatures soient les seules à décider des progrès à effectuer dans le domaine des droits de l’homme ? C’est pourtant ce qui se produit avec les armes nucléaires.
Tous les Etats ont une obligation de protection vis-à-vis des peuples, et le danger des armes nucléaires ne va pas disparaître par miracle ou par notre seule faculté de l’ignorer.
Les neuf pays nucléaires construisent les bombes atomiques du futur — pour un coût de plus de 100 milliards chaque année —, et s’ils jurent qu’ils veulent un monde débarrassé des armes nucléaires, ils ajoutent toujours «quand les circonstances le permettront».
La Conférence du désarmement n’a pas réussi à se mettre d’accord sur un agenda de travail depuis dix-sept ans, et en quarante ans le TNP n’a ouvert aucune piste concrète vers l’élimination : il est temps de changer d’approche.
Interdire complètement les armes nucléaires
La plus grande organisation humanitaire du monde, le Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge vient d’adopter un plan d’action en quatre ans qui réaffirme l’impact catastrophique des armes nucléaires et le manque de préparation. Il appelle à ouvrir des négociations sur un instrument international visant à interdire l’utilisation et à éliminer complètement les armes nucléaires.
Les armes de destruction massive font l’objet de traités d’interdiction et sont en voie d’éradication. Les plus dangereuses de toutes, les armes nucléaires, doivent être évaluées à l’aune des exigences et des connaissances du XXIe siècle. En prenant part à ce débat et en participant à la Conférence du Mexique, la France témoignerait de son esprit d’ouverture tout autant que de son attachement au progrès des normes humanitaires et du droit international, au lieu de s’enfermer dans une logique de déni et d’immobilisme. Une telle attitude pourrait inspirer les autres pays nucléaires et constituer un signe d’espoir pour tracer la route vers un monde débarrassé des armes nucléaires.
Pour ICAN-France : Abraham Béhar, Association des médecins français pour la prévention de la guerre nucléaire ; Patrice Bouveret, Observatoire des armements ; Michel Cibot, AFCDRP-Maires pour la paix ; Michel Dolot, Le Mouvement de la paix.