Alors que les deux chefs de gouvernement français et algériens se réunissent à Alger ces 9 et 10 octobre 2022, nous co-signons une nouvelle tribune sur l’importance d’indemniser les victimes des essais nucléaires français en Algérie et d’engager un processus de réhabiliation des anciens sites d’essais nucléaires français. Une tribune publiée ce 8 octobre 2022 par le Journal du Dimanche co-signée pour ICAN France par Jean-Marie Collin, par Patrice Bouveret de l’Observatoire des armements et par l’ex-commissaire à l’énergie atomique Merzak Remki.
Les présidents Abdelmadjid Tebboune et Emmanuel Macron ont relancé, le 27 août dernier, le partenariat entre la France et l’Algérie pour « appréhender l’avenir dans l’apaisement et le respect mutuel ». Cette volonté devrait se traduire par de nouvelles annonces avec la tenue du Comité intergouvernemental de haut niveau, à Alger ces 9 et 10 octobre, qui réunira les gouvernements des deux États. N’ayant pas été abordée lors de la rencontre entre les deux Présidents, ce nouveau rendez-vous doit marquer un tournant décisif pour résoudre la question des conséquences des essais nucléaires que la France a réalisés en Algérie et qui impactent jusqu’à aujourd’hui encore la population locale.
La France a réalisé entre 1960 et 1966, dans le sud algérien, sur les sites de Reggane et d’In Ekker, un total de 17 essais nucléaires atmosphériques et souterrains. Parmi les 13 essais nucléaires souterrains effectués à In-Ekker, deux incidents importants (Béryl et Améthyste) ont provoqué un très grand rejet de lave en dehors de la montagne, qui reste localement fortement contaminée. En plus des essais nucléaires, une quarantaine d’explosions ont également été réalisées à Reggane (Adrar) et à Tan Ataram (Tamanrasset), utilisant de faibles quantités de plutonium, mais ne provoquant pas de dégagement d’énergie nucléaire.
Force est de constater qu’à ce jour, la situation sanitaire et environnementale dans ces régions du Sahara demeure toujours autant préoccupante.
Suite à une importante mobilisation, la France a reconnu, avec la loi du 5 janvier 2010 relative à la reconnaissance et à l’indemnisation des victimes des essais nucléaires, qu’ils n’avaient pas été « propres », tant ceux effectués en Algérie qu’ensuite en Polynésie. Il a ainsi été admis que des personnes (populations civiles, ouvriers, militaires, scientifiques…), présentes lors de ces essais dans le Sud Algérien, avaient été atteintes par des maladies radio-induites.
La loi française impose au demandeur de l’indemnisation de satisfaire à des critères très difficiles à remplir, pour faire reconnaître son statut de victime. Il doit notamment démontrer sa présence dans une zone géographique de retombées des essais, lors d’une période pendant laquelle elles ont eu lieu et souffrir d’une des 23 maladies listées par décret.
Malheureusement, depuis 2010, un seul ressortissant algérien a été indemnisé sur les 723 personnes reconnues comme victimes par le Comité d’indemnisation des victimes des essais nucléaires (CIVEN). Cette situation démontre un grave problème. Par ailleurs, cette loi n’a toujours pas été retranscrite en arabe (alors qu’elle est disponible depuis 2018 en langue polynésienne), restreignant aussi son accès à une large population.
De plus, nous savons que les générations actuelles — et futures si aucune mesure de réhabilitation n’est mise en œuvre — continuent d’être impactées par les conséquences de ces essais. En effet, suite à nombreux témoignages et recherches (cf. notamment l’étude de ICAN France et de l’Observatoire des armements « Sous le sable, la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du traité sur l’interdiction des armes nucléaires », publiée par la Fondation Heinrich Böll, 2020), il est reconnu que la France a volontairement enterré divers déchets contaminés par la radioactivité sur les sites d’essais. À ces déchets, il doit être ajouté les matières radioactives (sables vitrifiés, roches contaminées) issues des explosions nucléaires atmosphériques présentes sur les sites de tirs « Gerboise » et sur une large partie d’un flanc de la montagne Taourirt Tan Afella à In Ekker.
L’Algérie, de son côté, a engagé une autre étape dans le cadre du processus de prise en charge au niveau national de cette question, en créant le 31 mai 2021, l’Agence nationale de réhabilitation des anciens sites d’essais et d’explosions nucléaires français dans le Sud algérien.
Mais si les deux États ont bien conscience de l’existence de cet « héritage radioactif » depuis de nombreuses années, nous observons malheureusement une absence de progrès tangibles dans l’avancement de cet important dossier.
Le temps est venu d’agir vite, en pleine coopération et sans tabou, comme l’ont souligné les présidents Tebboune et Macron.
La cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau (CIHN), qui va se réunir ces 9 et 10 octobre, sera-t-elle l’occasion d’annonces concrètes ? En effet, ce comité, lancée en 2013, comporte depuis le début un volet lié aux essais nucléaires, mais la lenteur est une nouvelle fois à souligner. La première réunion le 3 février 2016 du groupe de travail mixte sur l’indemnisation des victimes algériennes des essais nucléaires français, n’a affiché comme seule perspective que « de créer un dialogue spécifique dans les meilleurs délais ».
Il doit ainsi être dressé, lors de ce CIHN, un plan d’action, rendu public, comportant notamment pour la France, un accès facilité aux Algériens à la loi Morin et la remise aux autorités algériennes de toutes les archives sur les conséquences des essais et sur les déchets enfouis sur place. L’Algérie peut matérialiser sa volonté d’action via son ministère de la santé en établissant un registre des cancers pour les habitants du sud algérien et via son Agence de réhabilitation en lançant officiellement des études pour assainir les zones radioactives.
Il reste à l’Algérie, qui a été parmi les premiers pays à avoir signé en 2017 le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), à entamer son processus de ratification du Traité. Cela lui permettra de disposer d’une coopération internationale pour la remise en état de l’environnement des zones contaminées.
Les parlementaires des deux pays ont aussi un rôle à jouer en établissant un groupe de travail mixte pour suivre au plus près du terrain et des populations le calendrier et les travaux réalisés. Les ONG, universitaires, journalistes et acteurs locaux doivent aussi être associés à ce plan global d’action, pour permettre sa mise en œuvre au bénéfice des populations impactées.