Analyse de La Loi de Programmation Militaire
Le projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2024 à 2030, élaboré par la Commission mixte paritaire (10 juillet), et qui sera voté ce mercredi 12 juillet par l’Assemblée nationale puis par le Sénat (13 juillet), vient supprimer les très rares éléments positifs concernant le contrôle citoyen et parlementaire sur la dissuasion nucléaire !
Tout d’abord, il faut relever que depuis la présentation de cette LPM par le ministre S. Lecornu, si le budget global de 413 milliards € est connu, celui concernant « le socle de la dissuasion nucléaire » n’a jamais été annoncé en terme financier, mais seulement en pourcentage. Un chiffre obtenu uniquement à la suite des questions de parlementaires de l’opposition ou de la presse et qui a évolué :
- 5 avril, le ministre des Armées « la dissuasion est une part importante, c’est 13 % de l’enveloppe globale », ce qui représente 53,69 milliards € ;
- 26 avril, le journal Actu.fr interroge le ministre des Armées sur l’enveloppe globale de la dissuasion : « autour de 15% des crédits de la loi de programmation militaire » ; ce qui représente alors 61,95 € milliards €.
- 21 juin, Vincenzo Salvetti, directeur des applications militaires du Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, mentionne que le coût de la dissuasion sera de « 12,5% du montant global de la LPM », soit 51,62 milliards €.
Dans le cadre d’une loi, qui a pour objectif de programmer des dépenses budgétaires, il est aberrant que les parlementaires ne puissent disposer du montant exact prévu par les armées pour la modernisation et le renouvellement de la dissuasion nucléaire. Le sénateur G. Gontard (EELV) avait déposé un amendement (n° 192) de transparence financière dans ce sens (que notre Campagne avait co-travaillé avec lui), mais qui fut refusé par le gouvernement sous prétexte de « secret militaire » ; un argument employé en 1963 par le ministre des armées P. Messmer…
Se cacher derrière le fait que cela « donnerait des détails et un signalement stratégique à nos compétiteurs » (Lecornu, 29 juin, Sénat) est un non-sens et un abus de langage. Car non seulement, les systèmes d’armes, comme leur localisation sont publics, mais de plus le directeur du CEA Vincenzo Salvetti (27 juin) en audition au Sénat a détaillé de nombreux éléments sur la fourniture de l’uranium, le types d’ogive, la nécessité du renouvellement des M51 ; autant d’information vitale pour nos compétiteurs …
Outre le refus de donner aux parlementaires la capacité d’exercer correctement leur mission de contrôle budgétaire (article 24 de la Constitution), les très rares éléments positifs de cette LPM sur la création d’un débat autour des enjeux défense et dissuasion ont été supprimés ! La nouvelle version adoptée en commission mixte paritaire a ainsi permis au ministre d’obtenir certaines coupes, qu’il regrettait sans doute d’avoir du concédé, en seconde lecture au Sénat.
1 – Le « débat citoyen autour des grands enjeux défense »
Présenté par P. Laurent et M. Gréaume (groupe Communiste), l’amendement n° 145 avait pour objectif – enfin – d’organiser avec la population une réflexion globale sur les sujets de la défense et en particulier de la dissuasion :
- Le projet adopté par le Sénat (alinéa 3 p.75) inscrivait ainsi dans la loi que « la révision anticipée de la LPM sans réexamen stratégique approfondi ni débat avec la Nation n’a pas permis de questionner à fond notre modèle d’armée. Pour répondre à la nouvelle donne stratégique mondiale, ce réexamen est indispensable dans le cadre d’un large débat citoyen autour des grands enjeux défense ».
- La commission mixte paritaire l’a transformé (alinéa 3 p. 79) en « pour répondre à la nouvelle donne stratégique mondiale, des travaux complémentaires seront initiés » et « les conclusions de ces travaux seront présentées au Parlement avant la réactualisation de la LPM prévue en 2027 dans le cadre du vote sur l’actualisation de la LPM ».
Le gouvernement a donc obtenu la transformation d’« un débat-citoyen » en « des travaux complémentaires », sans qu’il soit spécifié par qui et comment, ils seront réalisés. Il est fort à parier que ces « travaux complémentaires » seront des auditions ou des séminaires semi-ouverts, nous éloignant très largement d’un vaste débat citoyen.
2 – L’art de remplacer du concret par du vide
Par ailleurs, il faut noter que ces « travaux complémentaires » seront présentés au Parlement avant la réactualisation de la LPM prévue en 2027 ; la date d’actualisation a donc glissé d’une année, puisqu’elle était au départ prévue pour 2026. Ce décalage dans le temps laisse à penser que les parlementaires seront, dans une situation similaire à 2021 ou l’actualisation pourtant prévue par la LPM 2019-2025 fut supprimée par la ministre des Armées Parly ! Mais, il faut aussi compter sur le fait qu’en 2027, les parlementaires se verront contraint par un double calendrier politique, les élections présidentielles (mai) et législatives (juin), laissant augurer que ces travaux et l’actualisation de la LPM de ce sujet sombreront dans l’oubli, car soumis au programme du ou de la future présidente.
3 – Une habitude dans la LPM
Pour rappel, lors du vote de la LPM précédente, Mme Conway-Mouret en 2018 avait inséré un amendement n° 105 pour obtenir « un grand débat national afin que les citoyens s’approprient la thématique dissuasion ». Un amendement qui fut alors rejeté par le gouvernement et par le président Cambon sous le double prétexte que « sur le fond, un débat national, c’est quelque chose de très compliqué et de très lourd à organiser » et que d’autre part cela « risque de mettre ainsi à nouveau en lumière toutes les oppositions sur le sujet et de donner la parole à tous ceux qui souhaitent se manifester contre le nucléaire d’une manière générale ». Vive le débat démocratique !
4 – Pourquoi informer le Parlement ?
Dans le projet adopté par le Sénat, un autre alinéa clé (n° 118, p. 102) qui aurait permis d’engager un débat a été totalement supprimé : « Les commissions permanentes de l’Assemblée nationale et du Sénat en charge de la défense sont informées des besoins programmés de la dissuasion nucléaire française, dans des conditions permettant de préserver le secret de la défense nationale ». Issu de l’amendement (n° 166) présenté par P. Laurent et M. Gréaume, il y avait ainsi l’objectif de pallier à l’absence de donnée budgétaire sur la dissuasion, les deux sénateurs la qualifiant de « trou noir anti-démocratique ».
La peur de débattre
Nous observons ainsi une pratique politique en décalage complet, avec ce que l’on peut attendre d’une démocratie. Cette expression du président Macron la traduit parfaitement : « tous les débats sont légitimes, mais ils sont aujourd’hui tranchés. La dissuasion fait partie de notre histoire, de notre stratégie de défense, et elle le restera » (vœux aux armées, 23 janvier 2018).
L’arsenal nucléaire de la France et sa politique d’emploi sont largement décrits à travers des communications officielles. Les prouesses technologiques et les rappels historiques sur le rôle du Général de Gaulle dans la constitution de cette force sont sans cesse rappelés comme des éléments de fierté. Communiquer est une chose, mais engager un débat public avec des contradicteurs ou des acteurs qui s’interrogent est tout autre. Les partisans de la Bombe ont peur de se confronter à cette réalité. Ces nouveaux éléments le prouvent et s’ajoutent à de nombreux autres exemples de ces dernières années comme, en 2023, ce fameux cycle d’audition « Dissuasion », réalisé à huis clos par la Commission de la défense à l’Assemblée nationale !
Sachant qu’en plus, ce cycle « dissuasion » était le premier depuis 2014, une preuve que le débat parlementaire est loin d’être récurrent. Et si l’on se penche sur le cycle de 2014, on s’aperçoit comme le constatait alors la présidente à la commission de la défense, P. Adam, qu’« un tel débat au sein de la commission de la Défense ne s’était jamais produit en cinquante années d’existence dans notre pays » !
Les diverses méthodes d’actions décrites confirment que la majorité présidentielle (tout comme les précédentes) a peur d’engager un débat honnête et responsable. Un mot pourtant que les communicants du Quai d’Orsay utilise de façon massive, la France est un « État responsable » ; si responsable que même au niveau onusien, la France a laissé éternellement vide son siège onusien lors des groupes de travail (2014 et 2016), du processus de négociation (2017) du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires et lors de la première réunion (2022) des États parties au TIAN.
En mai 2023, alors que le président se rendait au Sommet du G7 à Hiroshima, dans une tribune à L’Opinion, un collectif de 60 parlementaires ont demandé au Président à nouveau de ne pas isoler la France du dialogue sur le désarmement nucléaire aux Nations Unies, sous peine d’affaiblir sa crédibilité et de brouiller sa posture nucléaire, en annonçant une participation de la France comme État observateur, à la Seconde réunion des États parties au TIAN qui se déroulera au siège des Nations unies à New York (novembre 2023).
Le Président et son gouvernement fuiront-ils encore le débat ?
Informations :
- Le communiqué de presse en pdf
- Le plaidoyer réalisé sur la LPM
- Communiqué de presse du 5 avril, 53 milliards d’euros pour la bombe atomique française, selon le ministre Lecornu