Il en va de l’un de ces paradoxes qui animent l’humanité : Pourquoi la guerre, sinon pour avoir la Paix ? Car c’est avec un farouche enthousiasme que nous nous battons pour la Paix dans le monde. Nous bombardons, nous démolissons, nous appauvrissons, nous tuons pour la Paix. Mais, au fond « la Paix », c’est quoi ? Qu’est ce prix qui mérite tant de sang versé ?
L’avantage de la guerre c’est qu’elle, au moins, a la politesse d’être évidente. Nous l’étudions dès un jeune âge, la guerre. C’est d’elle dont on parle à l’école avec notre professeur d’histoire. C’est elle qui élève le Napoléon sanguinaire au rang de comète romanesque. Elle encore qui glorifie ces américains, venus mourir par vagues de gamins de dix-huit ans, contre l’ennemi nazi génocidaire, « pour la Paix ».
Il n’est pas enseigné les ravages commis par ces soldats américains sur les innocentes femmes françaises et allemandes (voir ici et ici). Il n’est pas enseigné que c’est ce même ennemi Nazi qui rassemblait, en 1939, dans un Madison Square Garden bondé, au cœur de New York, vingt-mille hommes blancs, venus saluer la haine hitlérienne au sein des Etats-Unis ségrégationnistes. Il est trop peu enseigné aussi les actes de cet Etat américain libérateur, responsable des folies de Dresde (13 au 15 février 1945), de l’anéantissement d’Hiroshima, de Nagasaki (6 et 9 août 1945), ou encore plus tard de My Lai (16 mars 1968, Viet Nam). Et nous pourrions malheureusement continuer… Les Etats-Unis, vainqueurs, étaient-ils alors en Paix ? Le sont-ils aujourd’hui ?
Impossible. Les Etats-Unis n’ont cessé d’être en guerre depuis le grand débarquement. D’abord contre les communistes, puis dans ce que les américains appellent les « Endless Wars », comme en Afghanistan, ou en Irak. C’est la guerre contre la « terreur », ou encore la guerre contre la « drogue », contre des ennemis aussi insaisissables que la Paix sensée résulter de leurs défaites. Il y a aujourd’hui, une fois de plus, des gamins de dix-huit ans qui débarquent pour se battre dans des contrées lointaines, seulement désormais ils se battent dans des guerres qui ont commencées avant leur naissance. Quel « mythos » entoure le 11 septembre 2001 pour une nouvelle recrue américaine qui n’étaient pas née pour voir s’écraser les avions sur New York, mais qui débarque en Irak tout de même, mitraillette à la main, prête, dédiée, à se battre « pour la Paix ».
Alors qu’est-ce c’est que la Paix, bon sang ?
C’est une question que l’on devrait se poser, fort probablement, avant de mourir pour elle. Le vieil adage romain nous dit que « si vis pacem, para bellum » (qui veut la paix prépare la guerre), mais cela voudrait-il dire que la Paix n’est en fait que cela : la préparation à la guerre ? Si tel est le cas, il faut avouer que l’arme nucléaire trouve maintenant toute son utilité. Voici bien certainement une arme qui montre que l’on est prêt à tout pour la guerre et la Paix, si prêt d’ailleurs (à l’image de la crise de Cuba de 1962 par exemple) que nous pouvons détruire la Terre entière et même nous avec. C’est le plan B de l’humanité : si l’on ne réussit vraiment pas à bien s’entendre, on s’explose complètement, comme ça tout est réglé. Sensible leçon qu’est celle du nucléaire : l’annihilation totale est l’assurance-même de la Paix. C’est d’un cynisme diogénique !
Peut-être que c’est à cause de cette confusion qui règne autour de la Paix, et de quoi en faire, que la politique tourne perpétuellement autour de la guerre. Pourtant, ne serait-il pas merveilleux si un dirigeant commençait toute guerre avec un plan pour la Paix ? C’est d’ailleurs la première leçon de Sun Tsu dans l’Art de la Guerre : avant tout éviter la confrontation, trouver une façon de faire la Paix.
Si la Paix est autant désirée qu’elle est indéfinie, ne serait-il pas alors logique de l’étudier ?
On la ressent, d’ailleurs, cette pédagogie de la Paix, au sein-même des Nations Unies. Cette institution, dont l’optimisme est le moteur, et l’espoir son essence, propose en effet chaque année des résolutions liées à l’éducation, et notamment sur la non-prolifération et le désarmement nucléaire. Car c’est l’arme atomique qui apparait toujours et encore, depuis plus de soixante ans, comme la pierre angulaire du château de carte qu’est notre sécurité mondiale. C’est cette arme qu’il faut abandonner, car elle remplace la Paix par une illusoire absence de guerre. Abandonnons-là, comme nous engage le Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), traité d’espérance, qui inscrit cinq fois le mot « Paix » dans ses palabres logiques. C’est d’ailleurs cinq fois plus que ne le faisait le TNP, ce traité levier, sur lequel s’assirent cinq Etats détenteurs, leurs doigts sur la détente, le reste de la Terre catapultée dans un clientélisme néo-colonialiste. « Soyez en Paix » nous disent-ils, « achetez-nos armes et gardez-vous bien de développer les vôtres, sinon… »
Depuis nous sommes tombés dans cette logique d’otage, dans un syndrome de Stockholm stratégique et serpentin, où la sécurité passe par l’arme et non l’entente. Où la Paix se fait par la force de l’arme, et non par sa poursuite-même. Nous envoyons tous nos jeunes militaires à faire leurs « études de guerre » à l’Ecole de Guerre. Mais puisque la guerre est indésirable, ne devrions-nous pas les envoyer dans une Ecole de Paix ? Il est si facile de commencer une guerre, et si compliqué de faire la Paix. Alors pourquoi s’éduquer sur un sujet facile et dont le but est indésirable ? Ne vaut-t-il pas mieux étudier la cible que l’arme ?
Ce n’est que ma conviction mais justement, comme l’écrivait Tolstoy (Guerre et Paix), si chacun se battait pour ses propres convictions, il n’y aurait pas de Guerre. Alors battons-nous, oui, mais pas « pour la Paix » ; battons-nous pour la comprendre, et ainsi pour être, en Paix.
Simon Albert-Lebrun simonsm.al.idn(@)gmail.com est un juriste spécialisé en droit international humanitaire. Ayant suivi des études en Droit International à Paris 1 Panthéon-Sorbonne, puis un LLM à Boston College, terminant Magna Cum Laude, il a travaillé dans des camps de réfugiés en Jordanie et au Liban. Il donne aujourd’hui des cours d’anglais juridique aux étudiants de droit à Paris 1 Panthéon-Sorbonne. Il est en charge du « Pole jeunes » au sein de Initiatives pour le Désarmement Nucléaire (IDN). Il coordonne les actions de communication, l’organisation d’événements avec les jeunes, et anime des webinaires hebdomadaires sur le thème du désarmement nucléaire. Il est également secrétaire général de l’organe français des Parlementaires pour la Non-Prolifération et le Désarmement Nucléaire (PNND-France).