Tribune Parlementaire – M. Macron, donner une impulsion pour réparer les conséquences des essais nucléaires

Cette Tribune a été publiée dans le Journal du Dimanche le 11 avril 2021 et signée par les député(e)s suivants M. Brotherson Moetai, M. Lambert François-Michel, M. Lecoq Jean-Paul, M. Molac Paul, M. Nadot Sébastien, Mme Panot Mathilde, M. Taché Aurélien, Mme Sage Maina, M. Villani Cédric.

 

M. Macron, il est temps de donner une impulsion pour réparer les conséquences des essais nucléaires  

 

La rencontre a été repoussée « Sine die » ! La cinquième session du Comité intergouvernemental de haut niveau algéro-français, qui devait se dérouler ce 11 avril, avait pour volonté de s’inscrire, comme vous l’avez exprimé, dans un contexte d’apaisement des contentieux historique entre la France et l’Algérie. À cette fin, vous avez pris différentes initiatives, dont la dernière en date du 9 mars demandant à faciliter l’accès aux archives classifiées relatives à la guerre d’Algérie pour  « favoriser le respect de la vérité historique ». Vous avez désormais l’occasion d’impulser une action concrète en faveur des populations civiles et de l’environnement qui continuent d’être affectés par des déchets nucléaires enfouis par la France dans les sables du Sahara ; il vous faut la saisir.

Courant février, le ciel d’une large partie de la France a arboré une teinte orangée créant une atmosphère particulière. Le sable du Sahara, porté par les vents, est à l’origine de ce phénomène. Selon les analyses de l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, ce sable avait des teneurs en Césium-137 (élément radioactif) supérieur à la moyenne, mais sans danger pour l’être humain.

Cet épisode météorologique est venu une nouvelle fois rappeler que la France a laissé une empreinte radioactive indélébile au cœur du Sahara. Dix-sept explosions nucléaires entre 1960 et 1966, atmosphériques et souterraines, ont été réalisées à Reggane et In Ekker pour tester la bombe atomique française. En 2021, les connaissances sur ces essais, sur les accidents (Béryl, Améthyste, Rubis, Jade) et leurs conséquences sont nombreuses. Mais il manque toujours des informations clés, concernant les déchets (nucléaires ou non) pour la plupart enfouis volontairement dans les sables, pour assurer la sécurité sanitaire des populations résidant dans ces zones, pour protéger les générations futures et pour prendre les mesures nécessaires et appropriées en vue de la remise en état de l’environnement.

En 1997, le député Christian Bataille, membre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques français, reconnaissait que « sur la question des déchets qui auraient pu résulter des campagnes d’essais réalisées au Sahara, il n’existe aucune donnée précise ». Une étude publiée par ICAN France et l’Observatoire des armements en août 2020 « Sous le sable, la radioactivité ! »* a dressé pour la première fois un inventaire recensant les déchets non radioactifs (élément ferreux, bidons de bitume…), le matériel contaminé enfouis dans le sable (outillages, avions Vautour, blindés, camions…) et les déchets nucléaires issus des essais et autres expérimentations (roches et galettes radioactives, sables vitrifié…)

Plusieurs d’entre nous ont ainsi souhaité disposer d’informations supplémentaires pour comprendre la réalité de cette pollution. Nos questions écrites et orales adressées à la ministre des Armées et à la ministre de la Transition écologique ont fait l’objet de réponses qui démontrent une même volonté de conserver une certaine opacité sur ce sujet. Une attitude similaire est à déplorer concernant le ministère des Affaires étrangères, dont la direction Afrique du Nord et Moyen-Orient ne donne, pour l’instant, pas suite aux demandes d’entretien réalisées par la société civile.

Nous refusons d’imaginer que le passé nucléaire de la France continue de générer des risques sanitaires, humanitaires et environnementaux. Nous refusons de croire, pour paraphraser M. Benjamin Stora, que cette « question brûlante », inscrite dans le rapport qu’il vous a remis, soit étouffée par l’inaction politique ou des blocages d’ordre psychologique.

Après soixante longues années de silence et d’opacité, n’est-il pas temps de publier les données et les cartes des zones où ces déchets ont été enterrés ? L’histoire est ce qu’elle est, les centres d’essais du Sahara ont été démantelés, mais l’impact de la radioactivité est toujours présent, tout comme en Polynésie.

Pour obtenir un début d’information objective sur ce sujet et engager la résolution de cette crise sanitaire et environnementale, il vous appartient, M. le Président, avec le gouvernement, de faire sauter le verrou législatif en déposant un projet de loi qui vient modifier l’article 17 de la loi du 15 juillet 2008 relative aux archives. D’ailleurs votre déclaration du 9 mars, évoque la nécessité « d’un travail législatif d’ajustement du point de cohérence entre le code du patrimoine et le code pénal pour faciliter l’action des chercheurs ». L’ouverture réelle des archives est une première étape indispensable. Elle serait également un gage de votre bonne volonté vis-à-vis des autorités algériennes qui considèrent à juste titre cette question comme prioritaire. En levant ce tabou, la France en sortirait grandie et vous pourriez mettre les actes en cohérence avec les intentions, dans une nécessaire transparence.

Vous êtes mobilisés, depuis le 16 mars 2020, pour engager « le jour d’après » afin de résoudre une grave problématique sanitaire. Ne poursuivez pas la politique de vos pairs. Agissez en même temps sur cette autre crise qui perdure depuis soixante ans et qui entache durablement l’image de notre pays.

 

* Étude de Patrice Bouveret et de Jean-Marie Collin, « Sous le sable la radioactivité ! Les déchets des essais nucléaires français en Algérie : analyse au regard du Traité sur l’interdiction des armes nucléaires », publiée par la Fondation Heinrich Böll, août 2020.

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