La France, lors de la première semaine de la conférence du Traité sur la non-prolifération nucléaire (29 avril-10 mai 2019, ONU, New York), est intervenue à quatre reprises pour expliquer sa posture diplomatique sur le désarmement et sur la non-prolifération nucléaires. Mais à entendre les discours de l’ambassadeur Hwang, le processus de désarmement est pour les autres !
Le Traité de non prolifération nucléaire (TNP), qui compte 191 membres, est un traité multilatéral (en vigueur depuis le 5 mars 1970) que la France a ratifié seulement le 2 août 1992, après la Chine. D’ailleurs c’est sans aucun doute pour cette raison que la France considère, que « le régime de non-prolifération […] est encore jeune », comme l’ambassadeur Hwang l’a mentionné dans son discours général à l’ONU, le 29 avril 2019… Il a également souligné qu’à «l’aune de ces défis, notre responsabilité collective doit être de tout mettre en œuvre pour réaffirmer l’intangibilité de la règle de non-prolifération et refuser l’impunité».
Alors ne serait-il pas temps que la France assure ses responsabilités ? En effet, dans son discours sur le désarmement nucléaire (2 mai), il y a une absence totale d’explication sur comment la France compte mettre en œuvre des engagements acceptés (document final de la Conférence d’examen) en 2010. Ces engagements (exactement 24 mesures, dont les mesures n° 3 à 6 qui portent spécifiquement sur des actions à réaliser par les Cinq puissances nucléaires) portent notamment sur :
- « Redoubler d’efforts pour réduire et, à terme, éliminer tous les types d’armes nucléaires par des mesures unilatérales, bilatérales, régionales et multilatérales » ;
- « Réduire encore le rôle et l’importance des armes nucléaires dans tous les concepts, doctrines et politiques militaires et de sécurité ».
Avec le vote de la Loi de programmation militaire 2019-2025 — qui prévoit un budget dissuasion en hausse de 60 % (passant de 23,3 milliards durant la précédente LPM à 37 Mds d’euros) pour engager un processus de modernisation et de renouvellement — c’est le chemin opposé qui est mis en place !
De même, la France a mis l’accent sur la notion de « transparence». Pourtant, il apparait, là encore, des incompréhensions importante sur les chiffres rendus publiques :
- « 300 » c’est le chiffre sur l’arsenal nucléaire français utilisé par la diplomatie française, depuis le discours du président François Hollande (Istres, 19 février 2015). Son prédécesseur Nicolas Sarkozy (discours de Cherbourg, février 2008) avait insisté sur le fait que « l’arsenal comprendra moins de 300 têtes nucléaires» à la fin de son mandat (en 2012). Cela pose donc un problème car le maximum devrait donc être de 299 (ou moins) or la formulation est « un plafond de 300 armes ».
- La transparence annoncée par la révélation de chiffres sur les vecteurs (MSBS M51 et ASMP-A) est ancienne. L’information « de trois lots de 16 missiles portés par sous-marins» est inscrite dans des rapports parlementaires chaque année. Par contre, indiquer que les Forces aériennes stratégiques (FAS) disposent de « 54 vecteurs » reste toujours incompréhensible, car les FAS ne sont composées officiellement que de 50 appareils ! Doit-on comprendre que ce chiffre comprend les missiles pour les essais et si c’est le cas pourquoi le compte des M51 ne les comprend pas ? Ou est-ce autre chose?
Toujours dans ce registre de la transparence : la Russie, comme d’autres États ou groupe d’États, ont dénoncé le fait que les États-Unis — via l’Otan — entreposent des armes nucléaires en Europe (Allemagne, Belgique, Italie, Pays-Bas, Turquie). Il faut souligner une étonnante et rare prise de parole de la France pour « protéger » ce stationnement, qui insiste sur la légalité de ce « partage nucléaire de l’Otan ». Cette posture forte correspond-elle à une évolution du rôle des forces nucléaires de la France au sein de l’Otan ? En effet depuis la déclaration de Bruxelles (juillet 2018), un large doute subsiste sur cette évolution car dans le paragraphe 35, il est écrit que « les forces nucléaires stratégiques indépendantes du Royaume-Uni et de la France ont un rôle de dissuasion propre et contribuent de manière significative à la sécurité globale de l’Alliance ». Or, dans la déclaration du sommet de Varsovie de 2016, (paragraphe 53), nous retrouvons cette même phrase, mais sans l’expression « de manière significative ».
La France se targue d’être membre des différentes zones exemptes d’armes nucléaires, ce qui est vrai. Mais alors, pourquoi n’a t-elle pas encore retiré du Traité dit de Tlatelolco (qui couvre la zone d’Amérique latine et des Caraïbes) sa réserve sur le Protocole additionnel n° 1 qui induit une non application de ce traité sur les territoires français de cette zone ? Pourquoi conserver une position qui date de la guerre froide ?
Tous les discours diplomatiques sont accompagnés d’explication sur la volonté de la France de voir le traité d’interdiction complète des essais nucléaires (TICE) entrer en vigueur ; ce qui est louable. Mais les « coupables » (États-Unis, Chine, Corée du Nord Égypte, Iran, Israël, Inde, Pakistan) qui empêchent cette avancée sont connues. N’est-il alors pas temps de les nommer pour créer une pression officielle et qui serait appréciée par les 184 États membres de ce traité ? Une façon de prouver que la France sait être indépendante et peut nommer des acteurs non responsables.
Idem, le Traité interdisant la production des matières fissiles (FMCT) est une nécessité pour assurer un désarmement nucléaire. Mais après plus de 20 ans de tentative de négociation, combien de temps la France pense-t-elle négocier encore ? N’est-il pas temps d’envisager une autre voie ? Pourquoi ne pas reprendre à son compte la proposition d’inclure les stocks faite par les députés M. Fanget et M. Lecoq (rapport parlementaire sur le TNP de juillet 2018) et approuvé par la commission des Affaires étrangères ? Cela aurait le mérite de respecter les exigences du mandat Shanon (base de la négociation du FMCT) et d’ouvrir une porte nouvelle susceptible d’être intégrée par le Pakistan, la Chine et soutenue fortement par l’ensemble de la communauté internationale. Et, ce traité serait alors un instrument de désarmement et de non-prolifération nucléaires.
Alors qu’un grand nombre d’État, affirme l’importance du Traité d’interdiction des armes nucléaires (TIAN), la persistance de la France à s’opposer à celui-ci reste incompréhensible ! C’est clairement une erreur et une absence de vison stratégique sur le moyen et long terme. D’autre part, affirmer encore que le TIAN est incompatible avec le TNP devient un non sens. À moins bien sûr que les 122 États qui ont négocié et voté ce traité, que le Secrétaire général des Nations unies, et la haute représentante du bureau sur les affaires du désarmement, que le CICR et plus globalement la communauté des juristes des ONG, soient des incompétents notoires en matière de droit international… Cette attitude sur le TIAN — qui devrait entrer en vigueur en fin d‘année 2019, début 2020 — démontre une fébrilité, car juridiquement, il sera compliqué de le nier.
Globalement, nous ne pouvons que constater — et déplorer — les nombreuses contradictions entre les discours de la diplomatie et les engagements de la France. Il semble que la diplomatie française n’a retenue aucune leçon du passé. Si en 2020, la Conférence d’examen est un échec, la France en sera l’une des coupables, avec les 4 autres puissances nucléaires, Nous serons alors pleinement en danger car le risque d’une prolifération massive avec la fin du TNP se profilera !
Merci, à la fondation Heinrich-Böll-Stiftung pour le soutien apporté pour participer a cette PrepCom