Les femmes contre la bombe : le désarmement nucléaire et l’égalité de genre

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, cette tribune rend hommage au rôle crucial des femmes dans le combat contre les armes nucléaires et la remise en cause d’un système de sécurité basé sur l’inégalité, la domination et la terreur.

Le combat des femmes contre la bombe a commencé par une défaite cuisante. Les 6 et 9 août 1945, des dizaines de milliers de cadavres carbonisés de femmes et filles anonymes gisaient dans les ruines de Hiroshima et Nagasaki.

Des milliers de femmes ont disparu en ne laissant derrière elles que des restes méconnaissables : des crânes noircis, des ombres imprimées sur les murs, des cendres éparpillées. Les armes nucléaires les ont réduites à néant. D’autres milliers de femmes, souvent blessées et contaminées, se sont obstinées à fouiller en vain les décombres, à la recherche de leurs enfants, leurs conjoints, leurs parents, leurs frères et sœurs, leurs amis. Les armes nucléaires les ont condamnées à la solitude.

Pour les survivantes en deuil, un autre combat s’annonçait au lendemain des bombardements atomiques. C’était le combat contre les effets collatéraux de la bombe, un combat qui devait durer de nombreuses décennies après la fin de la guerre. Les survivantes, les hibakusha, ont fait face à des souffrances persistantes : la discrimination d’une société qui les considérait comme souillées, la censure, les regards inquisiteurs sur leurs visages et corps brûlés, les maladies causées par les retombées radioactives, les multiples cancers, les longues hospitalisations, les saignements, l’abattement, les fausses couches, la naissance de bébés microcéphales, les morts…Ces souffrances ont été occultées tandis que la course aux armements nucléaires s’accélérait.

Alors, la bombe a fait des nouvelles victimes. Dans les îles du Pacifique, dans le désert algérien, dans les terres aborigènes d’Australie, dans les plaines kazakhes, et dans bien d’autres endroits de la planète, des femmes ont souffert les conséquences des essais nucléaires. Elles ont été, avec leurs communautés et l’environnement, empoisonnées. Leur santé, leur bien-être, et leurs droits ont été sacrifiés au nom du développement d’armes toujours plus dévastatrices.

Pourtant, les femmes ont contre-attaqué. Refusant d’être traitées comme de simples victimes, les survivantes des bombardements et des essais d’armes nucléaires ont pris la parole pour raconter leurs histoires. Avec courage et générosité, elles ont partagé leurs expériences vécues de la bombe. Leurs témoignages ont mis en évidence l’impact humanitaire inacceptable de ce type d’armement et ont révélé les angles morts des doctrines de la dissuasion nucléaire. Les femmes ont rappelé la réalité abjecte du carnage atomique, dissimulée sous les stratégies abstraites et les assurances illusoires des pays dotés de la bombe. De ce fait, les femmes ont joué un rôle central dans la contestation de la légitimité des armes nucléaires.

Les survivantes ont inspiré d’autres femmes et des hommes à rejoindre leur combat. Ensemble, des femmes et des hommes de la Campagne internationale pour l’abolition des armes nucléaires (ICAN) ont œuvré pour briser le silence et placer la dignité humaine au cœur des débats sur la sécurité internationale.

Le 7 juillet 2017, au siège des Nations Unies à New York, nos efforts ont abouti à une victoire historique : l’adoption du traité sur l’interdiction des armes nucléaires (TIAN), le premier instrument juridiquement contraignant à prohiber, de façon universelle, la bombe. Le TIAN, dont les négociations ont été présidées par une femme, l’ambassadrice Elayne Whyte Gómez du Costa Rica, se distingue par sa défense de l’égalité de genre.

Le TIAN, qui se fonde sur le droit international humanitaire, reconnaît que les effets catastrophiques des armes nucléaires touchent de manière disproportionnée les femmes et les filles. De plus, il souligne que la participation pleine et effective des femmes et des hommes, sur un pied d’égalité, est un facteur déterminant pour la promotion et l’instauration d’une paix et d’une sécurité durables. Le TIAN exhorte les États à renforcer la participation effective des femmes au désarmement nucléaire. Enfin, ce traité a vocation à réhabiliter l’environnement des conséquences des essais nucléaires et a protéger les générations futures.

Les efforts d’ICAN menant à l’adoption du traité ont été récompensés par le prix Nobel de la paix. Le 10 décembre 2017, deux femmes ont représenté notre coalition lors de la cérémonie à Oslo : Setsuko Thurlow, hibakusha de Hiroshima et militante du désarmement nucléaire, et Beatrice Fihn, la directrice exécutive d’ICAN. Ces deux femmes – de nationalités, générations et parcours différents – ont représenté d’innombrables femmes et hommes qui, avec elles, portent le flambeau de l’espoir.

En effet, c’est l’espoir qui nous fait avancer, l’espoir d’un monde exempt d’armes nucléaires, d’un monde où l’égalité et la dignité primeraient sur la domination et la terreur, où la puissance ne serait pas associée à une masculinité toxique et prédatrice. Dans ce monde, nos dirigeants ne gaspilleraient pas leurs temps et notre argent en cherchant à avoir le plus « gros bouton nucléaire ». Dans ce monde, notre sécurité à tous ne serait pas à la merci des caprices et des intérêts d’une minorité. Dans ce monde, nous pourrions unir nos forces pour résoudre les vrais problèmes, en premier lieu le changement climatique, qui mettent en péril notre avenir commun.

À l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, souvenons-nous de toutes les femmes qui nous ont permis d’arriver jusqu’ici, rendons hommage à leurs conquêtes, et engageons-nous à aller plus loin dans la réalisation d’un monde dans lequel aucune femme, homme, fille ou garçon n’ait à subir les effets d’une arme nucléaire.

Enfin, demandons à la France de rejoindre le TIAN, en gardant à l’esprit que le désarmement nucléaire et l’égalité de genre font partie d’un seul et même combat : celui pour un monde plus juste, durable et solidaire.

Izadora Zubek pour ICAN France 

Valérie Cabanes, Présidente d’honneur de Notre affaire à tous

 

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